L'évolution de la langue


Pour comprendre l'évolution du mot "tassel", il faut voyager entre l'Angleterre, l'Allemagne et la France, ou plutôt la Normandie.

C'est un mot qui a des racines romaines, vikings (langue norroise), anglaises, néerlandaises et allemandes.

On le retrouve dans tous ces pays, avec plus ou moins la même signification.

Pour comprendre un peu le langage de l'époque dans cette zone, voici un exemple avec l'évolution de l'anglais de l'an 700 à nos jours.


Le Old English (vieil anglais ou anglo-saxon) de 700 à 1100 :

La période du vieil anglais (anglo-saxon) s'étendit aux environs de l'an 700 jusqu'au XIe siècle. Aux Anglo-Saxons déjà installés en Bretagne, d’autres peuples germaniques les rejoignirent, notamment les Jutes du Jutland (Danemark), puis un certain nombre de Frisons. Les Jutes ayant investi la partie méridionale de l'île de la Bretagne ainsi que l'île de Wight (au sud), les Angles s'établirent au nord de l'Angleterre, tandis que les Saxons s'installèrent au sud-ouest après avoir confiné les Celtes à l'ouest (pays de Galles et Cornouailles).

Les nombreux royaumes germaniques fusionnèrent à la suite des guerres, effaçant les traces de l'organisation romaine et substituant la terre des Angles et des Saxons à la Britannia. Après la christianisation des Gallois et des Irlandais au Ve siècle, puis des Écossais au VIe siècle, les royaumes saxons furent évangélisés sous le règne du pape Grégoire le Grand (590-604).

Tandis que les anciens peuples celtes étaient refoulés à l’ouest de la Bretagne (voir la carte de la Britannia ci-dessus), les Vikings revinrent aux VIIIe et IXe siècles en faisant disparaître les royaumes saxons, sauf le Wessex. Ces Vikings avaient apporté avec eux de nouveaux mots nordiques, puisqu'ils parlaient le vieux-norrois. Il s'agit d'une trentaine de mots, dont call (vieil anglais ceallian: «crier», «appeler»), fellow (feolaga: «partenaire», «compagnon»), husband (vieil anglais husbonda: «maître de la maison», «mari»), law (vieil anglais lagu: «poser», «établir»), wrong (vieil anglais wrangr: «de travers», injuste», «erroné»), etc. L'Angleterre resta alors sous la domination des Wessex. Par la suite, les Danois s'installèrent dans l'est de l'Angleterre et créèrent un royaume, le Danelaw (Danalagu: «région où sévit la loi danoise»).

L'anglo-saxon

Au IXe siècle, grâce en partie à l'influence d'Alfred le Grand (roi anglo-saxon du Wessex, entre 871 et 878), les rois des Saxons occidentaux devinrent les premiers souverains de toute l'Angleterre, et le saxon occidental, la langue dominante de la littérature en prose. Pendant ce temps, l’Église catholique avait poursuivi la christianisation de la région et ramené le latin. L’anglais qui résulte de ce croisement fut alors mêlé de mots du latin, du saxon et du vieux-norrois (langue nordique). C’est d’après les noms de ces guerriers venus d’Allemagne et du Danemark qu’on désigna l'anglo-saxon comme la langue germanique qui représente la première période de l’anglais (ou Old English). La langue anglo-saxonne de ces peuples restait fragmentée en diverses variétés dialectales.

Au plan linguistique, les royaumes germaniques donnèrent naissance à la constitution de trois grands ensembles dialectaux attestés en vieil anglais:

    - le saxon occidental ou West-Saxon (Wessex), auquel on peut ajouter le saxon oriental et le saxon méridional;
    - le kentois (Kent);
    - l'anglien, celui-ci regroupant le mercien et le northumbrien.

Le territoire occupé par les Angliens (Angli en latin) était nommé Anglia et leur langue, englisc (d'où English). Arrivés du Danemark, les Jutes s'installèrent principalement dans le Kent, alors que les Saxons se fixèrent dans la région dont le nom conserve encore vivant leur souvenir (Sussex: Saxons du Sud; Wessex: Saxons de l'Ouest; Essex: Saxons de l'Est). Les Angles, de leur côté, occupèrent une zone allant des bords de la Tamise jusqu'aux Basses Terres d'Écosse (Lowlands). Ce peuplement explique en partie la diversité des parlers du Old English: saxon occidental, saxon méridional, saxon oriental, kentois, mercien et northumbrien, ces deux derniers composant l'anglien. L'alphabet utilisé alors est connu sous le nom d'alphabet runique.

- Les emprunts du vocabulaire

Comparativement à l'anglais moderne, le vieil anglais (ou anglo-saxon) possédait un vocabulaire qui paraîtrait aujourd'hui limité, l'inventaire du vieil anglais comptant environ 24 000 unités lexicales contre au moins 500 000 en anglais contemporain, voire plus d'un million. Les langues qui ont influencé le vieil anglais de cette époque sont le vieux-norrois, le celtique, le latin et certaines langues scandinaves.

Le vieux-norrois

Il faut d'abord préciser qu'une grande partie du vocabulaire du Old English et du vieux-norrois des Vikings était identique, sans toutefois aller jusqu'à prétendre que l'intercompréhension entre les deux langues était aisée. Dans la langue anglaise moderne, on compte environ un millier de mots ayant conservé les traces de leur ancienne origine scandinave héritée du vieux-norrois: bag («sac»), birth («naissance»), bread («pain»), cake («gâteau»), to die («mourir»), egg («oeuf»), happy («heureux»), husband («époux/mari»), law («loi»), to lift («soulever»), root («racine»), same («même»), to seem («sembler»), sky («ciel»), etc.

Les langues celtiques

L'emprunt de certains mots d'origine celtique a donné naissance à quelques doublets en anglais standard: whole / hale, no / nay, shirt / skirt, screak / screech, edge / egg. Le vieil anglais a aussi emprunté un certain nombre de noms propres (Belfast, Cardiff, Dublin, Glascow, Avon, etc.) aux langues celtiques, ainsi que plusieurs noms communs, dont bannock («pain d'avoine»), cart («charrette»), down («duvet») et mattock («pioche»). La plupart des mots d'origine celtique de l'anglais moderne, c'est-à-dire des mots tirés du gallois, du gaélique écossais ou de l'irlandais, sont des emprunts relativement récents.

Le latin

Dès cette époque, les mots d'origine latine étaient déjà assez nombreux : on en compte environ 150, dont plusieurs sont en réalité dérivés du grec: altar («autel»), mass («messe»), priest («prêtre»), psalm («psaume»), pear («poire»), etc. L'introduction de la plupart de ces mots provient de la propagation du christianisme, puisqu'il s'agissait souvent de termes religieux. N'oublions pas qu'à l'époque les membres du clergé et les lettrés se servaient du latin et que, pour les usages savants, on n'hésitait pas à recourir au grec. Cette latinisation de l'anglais enrichira la langue de nombreux mots et donnera une «coloration méditerranéenne» à cette «langue nordique» ou encore une «coloration latine» à une «langue germanique».

Les langues scandinaves

Il faut aussi ajouter une quarantaine de mots d'origine scandinave introduits par les Vikings qui envahirent la Bretagne à plusieurs reprises: le verbe are («sont»), take («prendre»), cut («couper»), both («les deux»), ill («malade»), ugly («laid»), etc. Évidemment, l'écriture se modifia énormément, mais on reconnaît encore certains de ces mots: deor (deer: «chevreuil»), scort (short: «court»), disc (dish: «plat»), môna (moon: «lune», sunne: sun: «soleil»). Toutefois, d'autres mots sont plus méconnaissables en Old English en raison de leur apparence celtique: eorðe (earth: «terre»), cniht (knight: «chevalier»), cyning (king: «roi»), wicu (week: «semaine»), gærs (grass: «gazon»), costung (temptation: «tentation»). Signalons que beaucoup de mots du Old English ont survécu et sont demeurés quasi intacts encore aujourd'hui: feet, geese, teeth, men, women, lice, mice, etc.

À l'aube du XIe siècle, le vieil anglais était une langue qui, tout en se distinguant déjà par ses influences celtiques et gréco-latines, restait résolument une langue germanique. La période qui suivra apportera des transformations autrement plus importantes et qui rendront l'anglo-saxon de la période suivante presque méconnaissable par rapport à la précédente.


Le Middle English (moyen anglais) de 1100 à 1500 :

C'est au cours du XIe siècle que débuta la «seconde période» de l'anglais, appelée Middle English (ou moyen anglais), avec la conquête du pays par Guillaume II de Normandie. À la mort d'Édouard d'Angleterre en 1066, son cousin, le duc de Normandie, appelé alors «Guillaume le Bâtard» (le fils illégitime du duc de Normandie Robert le Diable et d'Arlette, fille d'un artisan préparant des peaux), débarqua en Angleterre, avec la bénédiction du pape, pour faire valoir ses droits sur le trône d'Angleterre. Avec une armée de 6000 à 7000 hommes, quelque 1400 navires, Guillaume débarqua dans le Sussex, le 29 septembre, puis se déplaça autour de Hastings où eut lieu la confrontation avec le roi Harold II.

Lors de la bataille de Hastings (le 14 octobre 1066), qui ne dura qu'une journée, Guillaume battit Harold II, qui perdit la vie. Le duc Guillaume II de Normandie, appelé en Angleterre «William the Bastard» (Guillaume le Bâtard), devint ainsi William the Conqueror (ou Guillaume le Conquérant). Le jour de Noël, il fut couronné roi en l'abbaye de Westminster sous le nom de Guillaume Ier d'Angleterre.


Un roi normand pour l'Angleterre (et vassal du roi de France)

Le nouveau roi évinça la noblesse anglo-saxonne qui ne l'avait pas appuyé et favorisa ses barons normands. Il s'appropria d'abord les terres de l'aristocratie anglo-saxonne: plus de 1000 «thegns» (thegn: propriétaire foncier ou riche marchand, membre de l'aristocratie anglo-saxonne) perdirent leurs terres au profit de quelque 600 barons (surtout normands, mais aussi lorrains, flamands et bretons). Guillaume Ier élimina aussi les prélats et les dignitaires ecclésiastiques anglo-saxons en confiant les archevêchés à des dignitaires normands. On estime à environ 20 000 le nombre de Normands qui se fixèrent en Angleterre à la suite du Conquérant. Par la suite, Guillaume Ier d'Angleterre (1066-1087) exerça sur ses féodaux une forte autorité et devint le roi le plus riche et le plus puissant d'Occident. Il restait le principal propriétaire du Royaume, en conservant les trois cinquièmes des terres sous son contrôle direct. Après vingt ans de règne, l'aristocratie anglo-saxonne était complètement disparue pour laisser la place à une élite normande, tandis qu'il n'existait plus un seul Anglais à la tête d'un évêché ou d'une abbaye. La langue anglaise prit du recul au profit du franco-normand.

Toutefois, le roi d'Angleterre restait vassal du roi de France en tant que duc de Normandie (jusqu'en 1204), ce qui ne pouvait que susciter des rivalités. Après la mort de Guillaume Ier en 1087, ses héritiers se disputèrent le trône d'Angleterre et les rivalités avec la Normandie s'accentuèrent. L'accession au trône d'Angleterre de Guillaume II (dit «Guillaume le Roux») mécontenta son frère (Robert Courteheurse), le fils aîné de Guillaume Ier, et héritier du duché de Normandie. Pendant une vingtaine d'années, ce ne fut que tensions et conflits entre les deux frères, chacun cherchant à s'emparer des terres de l'autre, ce qui ne pouvait que favoriser les prétentions du roi de France.

La langue franco-normande

À l'époque de Guillaume Ier d'Angleterre, les membres de sa cour parlaient une sorte de français appelé aujourd’hui le franco-normand (ou anglo-normand), un français teinté de mots nordiques apportés par les Vikings qui avaient, un siècle auparavant, conquis le nord de la France. À partir de ce moment, le mot normand perdit son sens étymologique d'«homme du Nord» pour désigner un «habitant du duché de Normandie». La conséquence linguistique de Guillaume le Conquérant fut d’imposer le franco-normand comme langue officielle en Angleterre. Alors que les habitants des campagnes et la masse des citadins les plus modestes parlaient l’anglo-saxon, la noblesse locale, l’aristocratie conquérante, ainsi que les gens d'Église et de justice, utilisaient oralement le franco-normand, mais le clergé, les greffiers, les savants et les lettrés écrivaient en latin. Ainsi, trois langues se partageaient l'espace linguistique sans réelle concurrence: le franco-normand, l'anglo-saxon et le latin.

Quant à la langue du roi de France, le français, elle n'avait pas encore pris le dessus auprès de tout ce beau monde, mais vers la fin du XIIIe siècle ce n'était déjà plus le cas. Plus prestigieux que le franco-normand, le français finit par être adopté par les aristocrates et les hauts dignitaires de l'Église d'Angleterre. Cette langue française s'est largement imposée dans les secteurs de la vie culturelle et artistique. D'ailleurs, la noblesse normande avait toujours obligé ses enfants à apprendre le français, soit en France même, soit dans les écoles spécialisées. Dans sa Chronique, Robert de Gloucester, l'un des grands du Royaume, pouvait écrire en 1298:



Vor bote a man conne frenss me telþ of him lute.

Ac lowe men holdeþ to engliss and to hor owe speche ßute.

À moins de connaître le français, on n'est guère considéré.

Mais les petites gens s'en tiennent toujours à l'anglais et à leur propre langue.


Bref, les gens du peuple et des campagnes ne furent guère influencés par le français; ils ont toujours continué à utiliser leurs variétés linguistiques anglo-saxonnes, tout en empruntant (à leur insu) des mots au franco-normand ou au français.

Le quadrilinguisme

Jusqu’au XIVe siècle, quatre langues furent employées dans le pays, sans se faire une réelle concurrence. Le franco-normand (toujours appelé aussi «anglo-normand») restait la langue de l’administration locale; il était enseigné dans les écoles dès le niveau primaire. L’Église utilisait même le franco-normand dans la prédication auprès des fidèles, bien qu’elle se servît du latin dans son administration interne. Le français était la langue de l'aristocratie, de la loi et de la justice; de nombreuses familles riches et/ou nobles envoyaient leurs enfants étudier dans les villes de France. Le peuple anglo-saxon, lui, continuait de parler son anglo-saxon (fragmenté en cinq variétés linguistiques), qui s’imprégna de nombreux mots latins, franco-normands et français. Certains mots anglo-saxons ont été créés: town, home, house et hall. C'est ainsi que l'anglais acquit de nombreux doublets dans le domaine lexical, l'un d'origine germanique, l'autre d'origine romane: house / home, bookstore / library, kitchen / cuisine, sheep / mutton, tream / river, coming / arrival, tank / reservoir, tongue / language, town / city, mansion / manor, etc.

D'autres mots sont venus du franco-normand et passeront ensuite à l'anglais: accustom (acostumer > accoutumer), afraid (afrayé > effrayé), butler (buteler > bouteiller), candle (candeile), crown (coronne > couronne), eagle (egle > aigle), garden (gardin > jardin), jacket (jacquet), mayor (maire), money (moneie), oil (oile > huile), school (escole > école), soldier (soudier > soldat), tailor (taillour > tailleur), war (werre > guerre), etc. Le vieux-norrois (d'origine scandinave) a donné au moyen anglais le mot important de law («loi»).

La noblesse anglaise avait emprunté des titres de fonction au français (prince, duke, duc, peer (pair), marquis, viscount (vicomte) et baron), mais en a développé d'autres en moyen anglais: king («roi»), queen («reine»), lord, lady et earl («comte»). Dans le vocabulaire administratif d'origine française, citons county, city, village, justice, palace, mansion (manoir), residence, government, parliament. Il existe aussi des mots dans le domaine de la religion (sermon, prayer, clergy, abbey, piety, etc.), du droit (justice, jury, verdict, prison, pardon, etc.), de la mode (fashion, collar, button, satin, ornament, etc.), de la cuisine (dinner, supper, sole, salmon, beef, veal, mutton, pork, sausage, pigeon, biscuit, orange, oil, vinegar, mustard, etc.) et de l'art (art, music, image, cathedral, column, etc..).

L'influence grandissante du français

Le premier roi de la dynastie des Plantagenêts, Henri II, du fait de son mariage avec Aliénor d'Aquitaine en 1152, englobait, outre l'Irlande et l'Écosse, plus de la moitié occidentale de la France. Bref, Henri II gouvernait un royaume allant de l'Écosse aux Pyrénées: c'était la plus grande puissance potentielle de l'Europe. Par la suite, Philippe Auguste reprit aux fils d'Henri II, Richard Cœur de Lion et Jean sans Terre, la majeure partie des possessions françaises des Plantagenêts (Normandie, Maine, Anjou, Touraine, Poitou, Aquitaine, Limousin et Bretagne).

À ce moment, toute la monarchie anglaise parlait français, et ce, d'autant plus que les rois anglais épousaient uniquement des princesses françaises (toutes venues de France entre 1152 et 1445). Il faut dire aussi que certains rois anglais passaient plus de temps sur le continent qu'en Angleterre. Ainsi, Henri II passa 21 ans sur le continent en 34 ans de règne.

Finalement, en 1259, Henri III d’Angleterre renonça officiellement à la possession de la Normandie, qui conserva cependant une certaine autonomie dans le royaume de France.  La perte de la Normandie obligea la noblesse anglaise à choisir entre l'Angleterre et le Continent, ce qui contribua à marginaliser le franco-normand au profit, d'une part, du français parisien, d'autre part, de l'anglais. En 1328, le dernier des Capétiens français (Charles IV) mourut sans héritier. Le roi d'Angleterre fit valoir ses droits à la succession du royaume de France, mais Philippe VI de Valois fut préféré par les princes français (1337). Dès lors, deux rois de langue française se disputèrent le royaume de France (jusqu'en 1453): ce fut la guerre de Cent Ans.

Vainqueur à la bataille de Crécy (1346), le roi anglais Édouard III n'était même pas capable de s'adresser à ses troupes en un anglais compréhensible pour eux. Deux ans plus tard (en 1348), Édouard III créa «le Très Noble Ordre de la Jarretière» (The Most Noble Order of the Garter ), avec comme devise Honi Soit Qui Mal Y Pense (en français seulement, avec un seul n à Honi), ce qui signifie «la honte sur celui qui pense mal». Mais cette longue guerre fit naître un fort sentiment nationaliste, tant en France qu'en Angleterre, ce qui eut des conséquences sur la langue française de la monarchie anglaise.

La bourgeoisie anglaise s’insurgea contre l’utilisation de plus en plus grande du français et réclama l’usage de l’anglais dans les actes de justice. Édouard III dut s'incliner. En 1362, le Statute of Pleading reconnut officiellement l’anglais comme langue unique des tribunaux, mais dans les faits le français continuera d'être employé jusqu'en 1731, malgré la déclaration du Parlement de 1362, qui décidait de faire de l'anglais la seule langue juridique du pays. Puis le français perdit graduellement la place privilégiée qu’il avait dans l’enseignement. À partir de 1349, l'université d'Oxford dispensa son enseignement en anglais, alors qu'auparavant c'est en français que se faisait l'enseignement universitaire. On commença à enseigner l'anglais dans quelques «grammar schools», puis toutes les écoles finirent par suivre le mouvement.

C’est seulement sous le règne de Henry IV (1399-1413) que le premier roi d’Angleterre a su parler l'anglais comme langue maternelle. On peut dire qu'«en boutant les Anglais (alliés aux Bourguignons) hors de France» Jeanne d'Arc (1412-1431) a aussi contribué à faire reculer le français d'outre-Manche. On peut se demander ce qui serait devenu du destin du français et de l'anglais si l'intervention de Jeanne d'Arc n'avait pas eu lieu, car le roi d'Angleterre, Henry V, qui était déjà comte du Maine, duc de Normandie et de Guyenne, aurait été couronné à Reims et serait ainsi devenu à la fois roi de France et roi d'Angleterre. Le français serait certainement devenu la langue des deux pays réunis en un seul royaume. En somme, si Jeanne d'Arc a sauvé la France des Anglais, elle a également, par voie de conséquence, et bien malgré elle, rendu un bien mauvais service à la langue française, car son intervention a assuré la pérennité de l'anglais outre-Manche.

Le moyen anglais de l'époque

Si l'on résume cette période du Middle English (moyen anglais), on peut dire que l'anglais avait acquis une grande simplification par rapport au Old English (vieil anglais).  En effet, à partir du XIIIe siècle, les trois ou quatre cas (déclinaisons) des noms au singulier avaient été ramenés à deux et la terminaison en -es pour indiquer le pluriel des noms avait été adoptée. Les distinctions de genre grammatical «arbitraire» ont été remplacées par des distinctions de genre «naturel», contrairement au français qui pratiqua la façon arbitraire d'attribuer le genre des noms. Le nombre duel (indiquant «deux», comme en grec) était tombé en désuétude, tandis que le datif et l'accusatif des pronoms avaient été ramenés à une forme commune. La conjugaison des verbes a également été simplifiée par l'omission de terminaisons et par l'emploi d'une forme commune pour le singulier et le pluriel des temps passés des «verbes forts». Quant à l'écriture, elle était passée de l'alphabet runique à l'alphabet latin, depuis que toute l'Angleterre était devenue chrétienne. Le système graphique du moyen anglais conservait un certain nombre de traits hérités du vieil anglais, mais en l'adaptant à partir du système graphique hérité des Normands.

Les emprunts du français

Le vocabulaire du moyen anglais, pour sa part, s'était transformé radicalement, surtout en raison de ses emprunts au franco-normand et surtout au français de Paris. La noblesse et le clergé anglais, qui connaissaient généralement le français et l'anglais, y introduisirent des mots français relatifs au gouvernement, à l'Église, à l'armée, à la vie à la cour ainsi qu'aux arts, à l'éducation et à la médecine. Un siècle après l'arrivée de Guillaume le Conquérant, plus de 1000 mots normands avaient été introduits en moyen anglais. Par la suite, ce fut des mots français, de l'ordre de plusieurs milliers de mots (environ 10 000). En réalité, l'anglais et le franco-normand se fondirent à un point tel qu'ils formèrent un ensemble lexical se caractérisant par une grande souplesse et une grande abondance de termes. Toutefois, il n'est pas toujours aisé de distinguer dans l'anglais d'aujourd'hui ce qui provient du franco-normand et ce qui provient du français.  En voici quelques exemples: bargain (bargaignier > barguigner), bastard (bastard, bâtard), choice (chois > choix), crust (cruste > croûte), custom (custume > coutume), marchant (marchand), money (monnaie), mutton (mouton), pork (porc), to toast (toster > rôtir), etc.

Afin de se donner une idée de l'anglais standard de cette époque, on peut jeter un coup d'oeil sur cet extrait des Canterbury Tales (Contes de Cantorbéry) du grand poète anglais Geoffroy Chaucer (1340-1400):



He knew the cause of everich maladye
Were it of hoot or cold, or moyste or drye,
And where they engendred and of what humour;
He was a verray parfit praktisour.

Il connaissait la cause de toutes les maladies;
Qu'elles soient dues au chaud, au froid, au temps humide ou sec;
et où elles se développaient et de quelles humeurs elles provenaient;
C'était un praticien vraiment parfait.


On remarquera que ces vers du moyen anglais comptent au moins huit mots d'origine française: cause (cause), maladye (maladie), moyste (du français moite), engendred (du verbe engendrer), humour (humeur), verray (vrai), parfit (parfait) et praktisour (ancienne forme de médecin). Il ne s'agit que d'un tout petit exemple, mais il illustre l'importance de l'apport français dans le vocabulaire anglais au cours de cette période.

Les emprunts du latin

Mais l'anglais de l'époque a aussi emprunté massivement au latin du Moyen Âge (lors d'une autre latinisation massive), parfois sous une forme d'inspiration française: attencioun (attention), diffusioun (diffusion), pastour (pastor), rectour (rector), actualyte (actuality), captivite (captivity). Parmi les nombreux termes d'origine latine qui ont survécu, mentionnons allegory, conspiracy, contempt, homicide, incarnate, infinite, intellect, lapidary, lunatic, moderate, nervous, promote, quiet (quietus), rational, solidary, submit, suppress, temporal, tributary, zenith, etc. Signalons rapidement les préfixes et suffixes latins, dont certains furent empruntés par l'intermédiaire du français, et contribuèrent jusqu'à nos jours à l'enrichissement de l'anglais. Pour les préfixes, citons de- (deduce), dis- (distract), ex- (except), inter- (interval), per- (pervert), pre- (predestine), pro- (prosecute), sub- (subscribe). Pour les suffixes, mentionnons -able (admirable) -ible (credible), -al (capital), -ant/-ent (important, different), -ment (argument, segment), etc. Comme nous le savons, c'est dans le latin que l'anglais puisera par la suite pour ajuster sons système tant verbal qu'adjectival à son système substantival.  De plus, l'anglais a «importé» des termes aux anciennes langues régionales parlées dans la France du Moyen Âge, surtout l'angevin et le provençal.

C'est aussi par l'intermédiaire du latin (ou du français) qu'un assez grand nombre de mots sont venus du grec. Parmi ceux du XIVe siècle, figurent agony, artery, basis, centre, character, climate, comedy, cycle, echo, fantasy, harmony, horizon, idiot, logic, magic, mystery, pomp, prune, schism, spasm, theatre, tragedy, etc.

Les emprunts au néerlandais

Enfin, avec le néerlandais, les Pays-Bas apportèrent également leur contingent d'emprunts lexicaux, car les relations économiques entre l'Angleterre et la Flandre étaient très florissantes à cette époque. Citons des mots comme poll avec le sens de «tête d'homme», clock («horloge»), pickle, («marinade» / cornichons»), firkin («petit tonneau»), hop («houblon»), skiper («capitaine»), deck («pont», «étage»), hose («tuyau», «tube»), groat («gruau»), wainscot («lambris», «boiseries»), bulwark («rempart», «bastingage»), luck («chance», «destin»), groove («rainure» / «sillon»), snap («rupture», «fissure»), etc.

Pour sa part, le peuple anglais des régions ne parlait que le Middle English (moyen anglais) dialectal. On peut consulter la carte linguistique (à gauche) illustrant la localisation des variétés dialectales du moyen anglais.

On distinguait le dialecte du Nord (correspondant au northumbrien), celui du Sud-Ouest (saxon occidental), celui du Sud-Est (kentois), celui des Middlands de l'Ouest (anglien de l'Ouest) et celui des Middlands de l'Est (anglien de l'Est).  Comparativement à la période précédente du vieil anglais, les zones des parlers celtiques se sont rétrécies au profit du moyen anglais, tant en Écosse qu'au pays de Galles et dans les Cornouailles.

Dès la fin du XIVe siècle, l'anglais standard était formé. Il s'était développé dans la région de Londres pour diverses raisons d'ordre politique, économique et démographique. On peut affirmer que l'anglais de cette époque, en raison des emprunts massifs au latin et au français, s'était tout à fait démarqué des autres langues germaniques comme l'allemand, le néerlandais, le danois, etc. C'était également une langue complètement transformée par rapport au vieil anglais. Cet anglais était utilisé par le peuple dans la mesure où il correspondait au parler de la région de Londres, car c'est cette forme d'anglais qui s'imposera à la fois comme langue de la vie publique, du commerce et du savoir.

Fait à noter : l'anglais avait évolué sans freins, car il n'avait pas été «dirigé» par des règles imposées généralement aux langues utilisées dans des fonctions formelles. C'est que, jusqu'ici, le latin et le français avaient servi de langues véhiculaires. Nous verrons que la langue latine continuera, dans les siècles à venir, à influencer massivement l'anglais, ce qui demeure tout de même exceptionnel pour une langue germanique!

Le Modern English (anglais moderne) : de1500 à nos jours

L’anglais moderne commence avec le milieu du XVe siècle, alors que le franco-normand et l’anglo-saxon s'étaient fondus pour donner naissance à l’anglais d’aujourd’hui.



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